Football365.fr | 07.06.2016 | Par Geoffrey Steines

Hervé Mougin, êtes-vous autant excité que les joueurs à l’approche du coup d’envoi de l’Euro 2016 ?
Ça fait longtemps qu’on en parle. On est heureux de pouvoir l’accueillir. On avait aussi peur parce que ça voulait dire que beaucoup de gens allaient vouloir des places. Quand on va en Ukraine par exemple, on n’a pas de problème. La FFF a néanmoins fait en sorte cette fois-ci de privilégier les supporters assidus. Les matchs amicaux, ça commence à bien faire (rires), on va pouvoir rentrer dans le vif du sujet. Forcément, il y a de l’excitation.

Comment expliquez-vous l’engouement populaire créé autour des Bleus et de votre groupe de supporters en particulier ?
C’est un ensemble. Ça a commencé au début des années 2000 quand certains se sont fixé comme objectif de réveiller le Stade de France. Je suis entré dans le mouvement en 2006, avec la Coupe du Monde, et on s’est aperçu qu’il y avait un manque de structuration des supporters. Les associations qui existaient, elles géraient des cars pour aller au stade mais leur boulot n’allait pas plus loin. On les appelait « supporters » mais c’était les mêmes que les autres spectateurs. Ils n’apportaient rien dans l’ambiance. On voulait se distinguer, sauf qu’on a été très vite confronté à un antagonisme par rapport aux supporters historiques qui ne voyaient pas d’un bon œil ces jeunes cons qui voulaient changer les habitudes. En même temps, la Fédération et les autorités se disaient : « L’équipe de France est la seule à ne pas avoir d’Ultras, ne commencez pas à nous foutre le bordel. »

Quel a été le déclic dans vos rapports avec la FFF ?
Avec l’arrivée de Noël Le Graët à la présidence de la Fédération, la relation avec les supporters a complètement changé par rapport à la doublette Escalettes – Lambert. Le premier ne comprenait rien à notre problématique. Le premier club des supporters, qui avait été créé en 1997 juste avant la Coupe du Monde, a été stoppé par Escalettes quand il est arrivé en 2005. Soi-disant parce que ça coûtait trop cher alors que c’était géré par deux stagiaires de Carrefour et Havas, donc ça ne coûtait rien. Mais c’était un choix politique. Ce qui a vraiment changé avec Le Graët, c’est qu’il a installé des correspondants qui connaissent la problématique des supporters. On a un ancien Ultra (ndlr : Florent Soulez) qui travaille au marketing à la Fédé et qui nous écoute. Il y a vu l’intérêt de la FFF pour qu’on arrive à reconstruire quelque chose.

Comment cette bonne volonté s’est-elle manifestée concrètement ?
Il nous a donné les moyens de faire des choses, parfois simplement des autorisations. Ce n’est que depuis septembre 2012 qu’on a le droit d’être debout en tribunes. Avant, on nous disait de nous asseoir, on nous jetait des trucs sur la tête. On a commencé à pouvoir faire ce qu’on avait envie, en respectant les règles bien évidemment, plus contraignantes que dans certains clubs. On a agrégé des gens volontaires, qui nous ont vus en tribune Nord et qui se sont dit qu’ils viendraient avec nous pour vivre le match différemment. On a commencé à grossir très vite et on s’est rendu compte que ça n’allait pas le faire. Il valait mieux que la Fédération recrée son club des supporters et qu’on vienne lui apporter notre expertise et notre envie.

« L’appellation »supporter » est éminemment positive »

Ce qu’elle a fait officiellement en 2014…
Force est de constater que ça marche plutôt pas mal, parce que 120 000 personnes se sont inscrites en quelques mois. Il ne faut pas se leurrer, il y a un effet Euro, avec l’idée de s’inscrire pour avoir des places. On verra sur le long terme. Mais on a gardé notre structure administrative avec les Irrésistibles Français, dont l’association existe depuis 2010 parce qu’on apporte des choses différentes. On a un aspect familial, on organise des déplacements et on a notre kop avec une identité particulière, une typologie de supporters où tout le monde ne se retrouvera pas forcément. On n’a pas voulu grossir, ça fait un an qu’on prend très peu d’adhésions et on ne communique pas dessus, pour ne pas avoir à gérer la pénurie de billets pour l’Euro. Maintenant, c’est différent. On reprend les adhésions pour la saison prochaine et c’est »open bar ».

Quelles sont les règles mises en place au sein de votre groupe ?
Pour que les gens se sentent supporters de l’équipe de France et que ça se passe bien en tribunes, on ne veut pas qu’ils viennent avec un maillot du PSG, une écharpe de Lens ou une casquette de Lyon. Celui qui est à côté, il est peut-être du club ennemi mais je n’en ai rien à foutre. Il faut dépasser ça. Mais on sait très bien que nos adhérents sont tous amoureux d’un club. On a des chants identitaires à notre groupe mais beaucoup d’autres sont issus de clubs. On a juste changé les paroles, parce que les airs sont reconnus. Ce n’est pas comme un club de L1 qui a un match à domicile tous les quinze jours et où les gens ont appris les chants sans même le savoir. C’est compliqué de faire apprendre de nouveaux chants.

Le travail d’éducation plus global des supporters est-il compliqué à réaliser ?
L’appellation »supporter », elle est éminemment positive. Mais on en a très peu qui sont actifs. Ceux qui le sont viennent souvent du monde Ultra, qui est dans un mode opératoire où ils mettent une pression, sifflent, montrent leurs désaccords avec la politique du club. On est dans un contre-pouvoir de tribunes. Ça ne correspond pas à notre ADN. On a beaucoup de nos adhérents qu’il faut rééduquer. C’est compliqué de faire passer ce message. Quand on est pour l’équipe de France, on n’est pas contre la Turquie ou l’Allemagne. A Lyon, ils sont anti-Stéphanois avant d’être Lyonnais. Quand on a un ennemi commun, ça resserre les rangs mais ça dépasse les bornes et je pense qu’on l’accepte trop facilement, même si je ne veux pas donner de leçons.

« Les Bleus, ce sont des bonheurs qu’on ne voit pas arriver »

Sur les dernières années, il y a deux moments forts dans l’histoire de l’équipe de France avec ses supporters. Le premier, c’est le match de qualification au Mondial 2014 en Espagne (1-1)…
On se fait conspuer pendant 95 minutes par nos amis espagnols à côté de nous. On était 150 à avoir fait le déplacement, on était relativement nombreux pour un match à l’extérieur à l’époque, même si on a fait mieux depuis. On n’a pas lâché. Jusqu’à la dernière seconde, je nous vois encore sur les images, on a continué de chanter, avec les bras levés. Il y a eu l’égalisation inespérée de Giroud et c’est parti dans tous les sens. On a fait passer l’idée aux joueurs qu’ils n’étaient pas seuls dans cet enfer. On a peut-être représenté 0,001% du résultat mais ça valait le coup. C’est une émotion immense, ce sont des bonheurs qu’on ne voit pas arriver. La naissance de mes enfants, j’ai mis neuf mois à m’y préparer, c’était différent. C’est le plus grand niveau d’adrénaline que je n’ai jamais eu.

Le second, c’est le barrage retour contre l’Ukraine en novembre 2013 (3-0)…
C’était un match très spécial. On est revenu de Kiev le dimanche, parce que le match était le vendredi. On était abattu. Mais ce qui nous a regonflés, c’est que quand on est rentré, on avait 180 demandes de places supplémentaires. Ça nous a remis un coup de boost, on s’est dit que l’état d’esprit était là. Nos membres ont eu la bonne réaction, même si la meilleure aurait été de prendre sa place avant (rires). Quand on est arrivé au stade, on a senti que tout le monde se disait que c’était possible. Là où on est seuls à être debout d’habitude, j’ai eu l’impression qu’il y avait la moitié du stade qu’il l’était pendant tout le match. C’était énorme. J’en ai reparlé avec Patrice Evra. Il m’a dit : « Quand on est rentré dans le stade, on s’est dit qu’on ne pouvait pas perdre. » Il y avait un truc électrique, différent des autres soirs. Ceux qui ont assisté à la finale de 1998 dans mon groupe, ils m’ont dit qu’ils n’avaient même pas ressenti ça. C’est le match-référence pour tout le monde. Il y avait une communion entre le public et les joueurs, qui se sont jetés dans notre tribune. J’en ai des frissons rien que d’y penser.

Cette dynamique, vous essayez de la maintenir par des animations, comme le tifo contre la Russie…
C’était le dernier match au Stade de France avant l’Euro, il fallait quelque chose de visible, qui marque les esprits pour que les gens se sentent déjà dans la compétition. Quand on a proposé le tifo, on l’a fait en mai 2015 pour une réalisation fin mars 2016. Il fallait valider le projet, obtenir les autorisations, s’arranger financièrement. J’ai une vingtaine d’adhérents qui n’ont fait que rouler des papiers pendant des nuits et des week-ends pour arriver à 14 000 papiers scotchés sur les sièges. On ne peut pas attendre de notre Fédération qu’elle s’occupe de ça parce que ce n’est pas son rôle. Nous, si on a envie de le faire, on peut être bloqué par des obstacles logistiques. Tout ça n’est possible qu’à partir du moment où il y a une convergence d’intérêts. Quand la FFF pense à une animation, elle nous appelle. On a gagné cette crédibilité parce qu’on ne les a jamais plantés.

Etait-ce primordial pour vous de ne compter que sur vous-mêmes pour monter ce projet ?
C’est ce qu’on veut. Ils peuvent nous proposer des choses, on n’a pas le mauvais esprit de nous dire qu’il faut que ce soit absolument notre idée. Si ça nous parait cohérent, tant mieux. On essaye aussi de faire des animations qui ne soient pas estampillées seulement « Irrésistibles Français ». Ça pourrait froisser les anciens, comme Clément d’Antibes, mais on est également un étendard du club des supporters en général et on a intérêt à ce qu’il se développe. Plus il se développe, plus les services proposés aux supporters seront intéressants, dans l’organisation de déplacements ou la logistique. Le groupe pourra en profiter. C’est tout un ensemble qui fait qu’on n’a pas de raison, la Fédération ou nous, de ne pas avancer ensemble.

Giroud ? « J’ai du mal à comprendre »

Aurez-vous la possibilité de vous organiser pendant l’Euro 2016 pour animer les matchs des Bleus ?
C’est plus compliqué parce que la billetterie n’a pas été groupée. On n’a pas pu prendre un secteur, comme on le fait avec la Fédération. Il a fallu passer par un tirage au sort et les places sont aléatoires. On fait le point, pour voir où chacun est. On avisera sur place pour qu’on puisse se regrouper ou essayer d’emmener avec nous les gens qui sont à côté. Mais j’aurai peut-être une personne de 80 ans qui me dira : « Assieds-toi mon gamin, je n’ai pas payé pour avoir des couillons qui batifolent dans tous les sens ». On va se retrouver dans une situation antérieure à 2012, c’est-à-dire dans un secteur qui pourrait nous être hostile. Si on n’arrive pas à mettre notre étincelle, parce qu’on ne pourra pas avoir de drapeaux, se mettre debout et lancer des chants groupés, j’ai peur que ça ait un impact sur l’ambiance. A moins que les « lambdas » se disent que c’est quand même l’Euro et qu’ils aient envie de suivre. Mais d’expérience, j’ai peur que ça ne se passe pas comme ça.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez été si présents pendant la préparation, sur les matchs amicaux ou les entraînements ouverts au public ?
Il faut montrer qu’on est là. L’UEFA a une relation client avec les supporters. Ce n’est pas notre credo, ce n’est pas là où on nous attend et ce n’est pas ce qu’on a envie de faire. On a voulu marquer le coup sur l’entraînement. Comme on avait eu le droit à cinquante places, les cinquante personnes devaient se bouger pour montrer que les supporters étaient là.

Comment percez-vous les sifflets dont a été victime Olivier Giroud ces dernières semaines ?
Siffler un joueur, même par défaut, je trouve ça absurde. Quand Karim Benzema se faisait siffler au Stade de France, on scandait son nom derrière. On veut montrer qu’on est derrière nos joueurs et notre équipe. Pour Giroud, j’ai du mal à comprendre, d’autant qu’il est sympathique avec les supporters. C’était le seul à être venu nous saluer au Danemark en octobre. Giroud ou un autre, s’ils devaient être en difficulté, c’est le moment de les soutenir. Il y a l’intérêt supérieur de l’Etat, comme on pourrait dire en politique. Je m’en fous qu’il passe à côté de son match s’il est décisif, parce que c’est ce qu’on attend de lui.