L’Equipe | 07.06.2016 | Par Raphaël Raymond

La semaine, Fabien Bonnel (32 ans) ressemble à Monsieur Tout-leMonde. Installé en région parisienne, il travaille dans le secteur des ressources humaines chez Orange. Mais il consacre aussi pas mal de son temps libre à son association, les Irrésistibles Français, dont il anime le kop en tribunes pendant les matches des Bleus – on appelle ça un « capo ». Supporter des Bleus depuis 2001, il a vu l’ambiance dans les tribunes changer. Il nous explique pourquoi.

« À quel moment êtes-vous devenu un supporter actif de l’équipe de France ?
Je suis allé voir les Bleus au Stade de France pour la première fois le 27 février 2001, contre l’Allemagne (1-0). Ils étaient encore champions du monde et d’Europe en titre et pourtant, certains joueurs étaient pris en grippe par le public. Christian Karembeu, par exemple. J’ai eu le déclic un an plus tard contre la Roumanie (2-1). J’étais en tribune latérale. Quand je me levais pour encourager les Bleus, les gens me prenaient pour un fou. Il y avait bien un club des supporters. Mais il n’y avait pas d’ambiance. Je les ai rejoints pour le match suivant, en mars contre l’Écosse (5-0). J’ai pris le mégaphone. Je voulais faire bouger les choses.

Ont-elles bougé ?
Il a fallu beaucoup de temps. Au départ, nous étions peu nombreux. À la Coupe du monde 2002, l’équipe de France se fait sortir au premier tour. Le Français n’est pas un inconditionnel de son équipe. Et puis la FFF n’avait pas la volonté de développer son club des supporters, comme dans un club. C’était un regroupement de fans. Si l’ambiance prenait, elle prenait. Sinon, tant pis. La FFF a fini par arrêter son club des supporters, en 2005. C’est Havas qui le gérait. Peut-être que ça lui coûtait trop cher. Vous avez alors dû vous prendre en charge… Pour la Coupe du monde en Allemagne (2006), nous avons dû organiser nous-mêmes nos voyages. Nous avons végété jusqu’en 2010. Ensuite, nous avons créé officiellement l’association Irrésistibles Français. Ce n’est qu’en 2012 que nous avons eu à la FFF un interlocuteur chargé de développer l’image de l’équipe de France dans les tribunes. Nous avons enfin eu affaire à quelqu’un qui avait fréquenté les tribunes. Il n’était ni supporterophobe, ni ultraophobe.

C’était le cas avant ?
Jacques Lambert, le directeur général, n’était pas très supporterophile. Sa collaboratrice non plus. Elle avait une excuse. Son premier match était le France-Algérie, avec l’envahissement du terrain (4-1, le 6 octobre 2001). Tout était verrouillé. En tribune, nous recevions des bouteilles et des sandwiches. Les gens étaient prêts à tout pour nous faire asseoir.

Qu’est-ce qui a changé ?
Depuis 2013, dans notre tribune, ceux qui sont debout ont la priorité sur ceux qui sont assis. Cela a changé beaucoup de choses. Nous avons d’excellents rapports avec la Fédération.

Ne vous sentez-vous pas acteur d’un plan marketing de la FFF ?
Pas du tout. Nous faisons ce que nous avons envie de faire en tribunes. Le “clapping” avant le match figure dans le programme de la soirée Oui. On l’a construit avec la Fédération. Si elle y trouve un intérêt, tant mieux pour elle. Ça nous permet de faire vibrer le public dès le début du match, de montrer aux joueurs qu’on est derrière eux.

Quelles relations entretenez-vous avec les joueurs ?
Le lien est difficile à établir car il y a peu de matches. Nous devions les voir après France-Allemagne le 13 novembre (2015). Notre rencontre a logiquement été reportée en mars dernier. Nous leur avons fait savoir que nous étions très déçus de leur comportement en déplacement. Il leur arrivait très souvent de ne pas venir nous saluer, ce qui n’est pas le cas dans leur club. Pour nous, ils n’avaient aucune excuse. Patrice Évra nous a expliqué que les marées orange des Néerlandais, rouge des Belges ou jaune des Suédois étaient impressionnantes, que les joueurs ne voyaient que ça. On lui a répondu que nous étions tous en bleu marine, une couleur qui ne flashe pas. À la fin des matches, maintenant, Évra emmène tous les joueurs nous saluer. Nous sommes dans un cercle vertueux. Contre le Cameroun, les supporters nantais de la Brigade Loire ont largement contribué à l’ambiance.

Sera-ce le cas avec ceux de l’OM à Marseille pour France-Albanie et ceux de Lille pour France-Suisse ?
Ce sera difficile. La billetterie est gérée par l’UEFA. En tribunes, il n’y aura pas forcément des gens de la région. Nous devrions pouvoir faire entrer un ou deux mégaphones dans le stade. Nous comptons sur la ferveur des spectateurs en catégorie 4. La Fédération a attribué ses places par tirage au sort réservé aux membres de son Club des supporters comme l’ont fait cinq autres nations. Au stade, nous formons désormais une famille.

Le célèbre Clément d’Antibes en fait-il partie ?
J’ai un profond respect pour sa fidélité. Pour le personnage, un peu moins. Je connais des supporters plus assidus qui se mettent moins en avant. Quand il affirme être le recordman de matches de l’équipe de France, nous sommes beaucoup à savoir que c’est faux. Si tous les supporters avaient son amour des Bleus, ce serait bien. Nous, nous avons une moyenne d’âge de trente deux ans. Quand Clément cherche à savoir s’il a été vu à la télé, nous, nous cherchons à savoir si les joueurs ont entendu notre force collective. »