La Croix | 15.09.2021 | Par Jean-Luc Ferré | photo : Jeanne Accosrini / SIPA

Les associations de supporteurs font entendre leurs voix, le plus souvent pour contrer les projets des dirigeants du football. Démonstration avec le projet d’un Mondial tous les deux ans que promeut la Fédération internationale mais qui fait hurler les tribunes.

Démonstration avec le projet d’un Mondial tous les deux ans que promeut la Fédération internationale mais qui fait hurler les tribunes.

La retour des émotions fortes, des emportements excessifs et des déceptions amères. La Ligue des champions reprend ses droits, avec ce mercredi 15 septembre, l’entrée en lice d’un PSG que tout le monde espère enfin emmené par son trio supersonique : Kylian Mbappé, Lionel Messi et Neymar.

Une rentrée qui devrait aussi fêter le retour des supporteurs après une année de chocs à huis clos. L’UEFA autorise à nouveau les fans en tribune — une occasion d’applaudir une décision des instances dirigeantes du football. Ce n’est pas si fréquent. Car on ne compte plus, ces derniers mois, les colères supportrices contre des institutions ou des clubs promouvant une certaine idée du football.

Dernier exemple en date, le pro- jet peaufiné par la Fédération internationale de football (Fifa) et vanté par l’ex-entraîneur Arsène Wenger, devenu directeur de développe- ment de l’organisation : un Mondial tous les deux ans, à 48 pays, en alternance avec une compétition de sélections comme l’Euro par exemple, qui reviendrait donc aussi tous les deux ans. De quoi assurer un spectacle permanent. Applaudissement général ? Tant s’en faut.

Des supporteurs en particulier n’ont pas tardé à dégainer contre la nouveauté. L’association Football Supporters Europe (FSE) s’est fendue le 8 septembre d’un communiqué outré, signé par 63 associations à travers le monde. Une mobilisation rapide, à l’image de celle des supporteurs révoltés, en avril 2021, par la Super Ligue européenne défendue par certains grands clubs ces derniers ont finalement fait marche arrière sous la pression, notamment de leurs fans.

Les supporteurs opposés aux réformes et ultimes défenseurs d’une tradition mise à mal ? « Les transformations du football depuis les années 1990 se font en sens unique, avec des transferts pharaoniques qui finissent par brouiller l’identité des clubs, des dirigeants en quête de profits qui, au fil du temps, ont bouleversé les compétitions européennes, constate le sociologue Nicolas Hourcade. À partir des années 2000, les supporteurs se sont structurés. Désormais ils veulent faire en- tendre leur voix, en se revendiquant comme garants du sport populaire contre le sport-business. »

Cette vision conservatrice du football, Ronan Evain, le coordinateur de la FSE, l’assume pleinement : « Le football s’inscrit dans une tradition qui structure la vie des supporteurs et, oui, ils ont tendance à vouloir préserver un certain âge d’or. Mais ce n’est pas une culture rance de pure nostalgie. Ils sont conscients du besoin de réformes, mais ils ne veulent pas suivre l’escalade proposée par la Fifa ou les grands clubs. Ces derniers croient que le football peut toujours continuer à grandir et à gonfler ses revenus. Le gâteau stagne en fait, et avec son Mondial bisannuel, la Fifa ne fait que rentrer en concurrence avec l’UEFA et les championnats nationaux. »

Président des Irrésistibles Français, principale association de supporteurs des Bleus, et signataire de l’appel de la FSE, Hervé Mougin s’élève lui aussi contre cette logique du toujours plus : « À quoi bon ? Veut-on de plus en plus cramer les joueurs en fin de saison avec des calendriers démentiels ? Et puis comment peut-on promouvoir depuis des années le football féminin et tout à coup le rejeter dans l’ombre avec des compétitions d’hommes tous les ans qui le rendrait bien moins visible ? Trop de foot tue le foot. Le pire, c’est que la Fifa prétend que les supporteurs veulent d’un Mondial tous les deux ans. C’est faux. Nous ne sommes pas consultés ! »

La Fifa joue, de fait, la carte du supporteur de canapé, plus que ce- lui des stades. « Les instances s’appuient sur un public qui consomme le spectacle sportif à la télévision sans être vraiment engagé, beau- coup plus facile à satisfaire », explique Nicolas Hourcade. La Fifa affirme pourtant vouloir prendre l’avis des fans d’ici à la fin 2021. Pourront-ils vraiment contrer la volonté du président de l’instance Gianni Infantino, fervent partisan du changement ? « Nous sommes peut-être dans une période de bas- cule, avance Nicolas Hourcade. La Fifa habituellement impose ses vues comme un rouleau compresseur. Mais les supporteurs ont montré leur force dans l’épisode Super Ligue. Si leur voix est relayée par d’autres instances comme l’UEFA, qui refuse également ce Mondial bisannuel, peut-être peuvent-ils se faire entendre. »