Ce fidèle supporter des Bleus déplore une « sélection par l’argent »

Ouest France | 07.04.2022 | Par Vincent Constant

Didier, membre du groupe de supporters Irrésistibles Français, craint de ne pas pouvoir assister à la Coupe du monde 2022, à cause des tarifs exorbitants imposés par le Qatar. Ce retraité qui n’a jamais raté un Mondial de foot depuis 1986 se confie sur les raisons qui le contraindraient à y renoncer, pour la toute première fois depuis 1986.

Mexique, Italie, Corée du Sud, Japon, Allemagne, Afrique du Sud, Brésil, Russie… Didier n’a pas manqué une seule Coupe du monde de football depuis 1986. Pourtant, en fin d’année, ce membre des Irrésistibles Français, le principal groupe de supporters de l’équipe de France, pourrait ne pas se rendre au Qatar et ainsi briser une longue tradition. Tout est question d’organisation et de prix… Un coût qui pourrait freiner de nombreux supporters à se déplacer pour soutenir les Bleus au Mondial.

« Pour l’instant, je suis très hésitant, principalement pour des motifs financiers parce que ça va coûter très cher, confie-t-il. Je viens de faire une demande de billet auprès de la Fifa avec le code que nous a envoyé la Fédération française de football (FFF), j’ai un mois pour me décider. Si je ne veux pas les prendre, je ne paye pas et la commande sera annulée. » Une réunion rassemblant la plupart des supporters français a eu lieu le 31 mars dernier et a confirmé toutes les inquiétudes. « Lors de cette réunion, on a évoqué toutes les complications au niveau de l’organisation et du coût. Je crois que ça a refroidi beaucoup de monde (rires) », ironise le membre des Irrésistibles.

« On n’est pas exactement leur clientèle habituelle »

Depuis l’officialisation de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, les craintes n’ont fait que grandir pour les habitués des compétitions internationales. Et pour cause, le pays du Golfe persique est depuis quelques années une destination prisée par les amateurs de luxe. Le prix des vols en témoigne, le pays dirigé par l’émir Tamim ben Hamad Al Thani n’est pas la destination la plus accessible.
Didier pensait que cela serait en partie compensé par des prix d’hébergement et de billetterie raisonnables. Il tombe de haut : « Pour le déplacement, je savais que ça allait coûter cher. Mais là, avec toutes les autres dépenses qui arrivent… On pensait que ce serait un pays très organisé et que tout allait être bien fait. Finalement, on se rend compte qu’ils n’ont pas l’habitude d’organiser quelque chose pour le commun des mortels. »

Le supporter français constate effectivement une politique tarifaire discutable, largement supérieure à ce qu’elle était en Russie, il y a quatre ans, lors du dernier Mondial, où il était resté cinq semaines. « Cela avait coûté 3 500 €, et cela comprenait les vols, les hébergements et les billets pour les matchs », explique-t-il. Au Qatar, il faut au minimum compter 3 000 € pour le simple fait de se loger.
« On n’est pas exactement leur clientèle habituelle, ils sont plus familiers avec ceux qui disposent d’un gros pouvoir d’achat. Au premier abord, on dirait un pays où le football n’est pas vraiment une préoccupation locale. Ils voient ça comme une affaire commerciale et non pour faire la promotion du foot. »

Le déplacement en Russie quatre ans plus tôt avait été facilité par les billets d’avion flexibles. En effet, si la France avait quitté prématurément la compétition, les supporters français auraient pu rentrer sans frais supplémentaires. Encore une fois, ce sera différent au Qatar en 2022, comme l’indique Didier : « J’ai cherché mais je n’ai trouvé aucun billet flexible pour aller là-bas. En cas d’élimination rapide, cela ferait encore des dépenses en plus. »

« Une sélection par l’argent »

L’effectif des Irrésistibles Français qui fera le voyage risque donc de se réduire à la portion congrue. « Si on est vingt ou trente sur place, ça serait déjà bien », espère Didier. Du côté des Français expatriés au Qatar en revanche, « ils devraient être un peu plus nombreux et ont pour la plupart des coûts en moins », dit-il faisant allusion au déplacement et aux hébergements.

Les nouveaux stades climatisés des Qataris pourraient se retrouver en partie vides si aussi peu de supporters se déplaçaient. Cela risque pourtant d’être le cas, selon l’adhérent des Irrésistibles : « Pour les autres pays aussi, il va y avoir une sélection par l’argent. »
Avec aussi peu de supporters présents, la fréquentation des stades pourrait en souffrir mais c’est aussi le cas de l’ambiance. Didier, lui, préfère en sourire : « Je doute que l’ambiance soit aussi festive que dans d’autres pays. Je pense que le partage avec les locaux sera très limité, à part au niveau du portefeuille (rires). » Les prix de la billetterie n’ont jamais été aussi hauts pour une Coupe du monde de football.

Didier, encore marqué par les annonces de la Fifa concernant le prix des sièges, rit jaune : « Pour la finale, la plus petite catégorie qu’on peut prendre, c’est la catégorie 3, la catégorie 4 étant réservée aux locaux. Cela représente 600 € auxquels on ajoute 10 % de frais de gestion (sourire). À titre comparatif en 2006, le billet pour la finale était à 110 €, ce qui paraissait déjà cher à l’époque. Au Qatar, ça a donc été multiplié par six si ce n’est plus. »

« C’est un choix de vie d’être un supporters français »

Présent pour les Bleus depuis 1977 et le « bon match » contre la Bulgarie (qualificatif pour la première Coupe du monde de la France depuis 1966), Didier passe en revue les souvenirs qui font de son engagement un de ses biens les plus inestimables. « Il y a de bons comme de mauvais souvenirs. En étant sur place, je différencie le côté sportif du côté convivial. Quand je dis que l’Afrique du Sud était un bon souvenir, on me traite de fou. Mais là-bas, au niveau de l’ambiance et des rencontres, c’était une très bonne expérience. »

Déjà là avant la création des Irrésistibles Français, ce Francilien qui habite à quelques kilomètres du Stade de France, explique ce qu’il considère comme le plus grand accomplissement de l’association : « Le mérite des Irrésistibles Français, c’est d’avoir fait du Stade de France le stade de la sélection, avec l’ambiance que cela implique. Je suis fier d’y avoir participé et de continuer à pouvoir le faire. »
Aujourd’hui retraité, Didier est libéré de ses obligations professionnelles qui lui ont parfois posé un dilemme au moment de « prendre des congés lors des périodes de compétition ».

Ce grand fan des Bleus n’a pas de regrets cependant, bien au contraire : « C’est un choix de vie d’être supporter français, on fait des sacrifices. Au lieu de changer de voiture tous les cinq ans, on la change tous les quinze ans. Si tout se passe bien, les Bleus se qualifient pour la phase finale et cela implique de verrouiller un mois tous les deux ans [l’Euro et la Coupe du monde se disputant tous les quatre ans à deux ans d’intervalle]. Sans compter le suivi de tous les matchs de qualification, les amicaux, etc. C’est un choix que je ne regrette aucunement, quels que soient les résultats. »