Le JDD | 29.03.2016 | Par Solen Cherrier

Depuis quatorze ans, Fabien Bonnel use de sa voix pour animer les matches des Bleus au Stade de France. Cela a longtemps été un sacerdoce.

Il arrive au rendez-vous un sac plastique à la main. À l’intérieur, 700 billets pour France-Russie qu’il doit redistribuer aux membres des Irrésistibles Français (IF) qui ont réservé leur place. Il y avait plus de motivés pour la venue de l’Allemagne le 13 novembre dernier. L’affiche est moins alléchante, le contexte est devenu plus anxiogène. Malgré tout, la plus grande association de supporters de l’équipe de France a prévu un tifo. Comme toujours, Fabien Bonnel s’époumonera pour animer le virage nord. Cela fait bientôt quatorze ans que cet amoureux du maillot bleu a pris le mégaphone pour tenter de réveiller un public anesthésié.

Il faut être honnête, on n’avait pas remarqué qu’il y avait un “capo” depuis si longtemps, ainsi qu’on appelle le meneur d’un groupe de supporters, micro en main, dos au terrain. “Dix ans à essayer de faire bouger des gens qui n’étaient pas là pour ça”, rembobine Fabien de sa voix douce et posée. À lutter contre la mauvaise acoustique de l’enceinte. À être associé à l’image franchouillarde de Clément d’Antibes (le supporteur au coq), à celle d’un stade de Footix raillé en Europe. À tenter de compenser le divorce entre les Bleus et le grand public.

1.200 membres aujourd’hui

“Des matches où je n’ai pris aucun plaisir, il y en a eu plein. Certains soirs, on était cinquante à chanter, on nous lançait des sandwiches et la sécurité nous faisait asseoir…” Il assume le côté maso de la mission. D’autant plus qu’elle est aujourd’hui en passe de réussir… En 2012, la Fédération a pris en main ce dossier afin d’offrir un vrai soutien populaire à la sélection en vue de l’Euro 2016. Grands drapeaux et banderoles ont fait leur apparition dans le virage nord, où l’on est désormais incité à rester debout. “On a inversé la problématique, ça change tout”, apprécie Fabien.

Après “l’ovni” France-Ukraine et le Mondial au Brésil, il a vu apparaître des nouvelles têtes alors qu’il mettait jusque-là un nom sur chaque visage. Officiellement créés en 2010, les Irrésistibles Français sont passés de 400 membres fin 2013 à 1.200 aujourd’hui. S’y côtoient des supporteurs rivaux en L1 qui partagent les chants de leurs clubs, accommodés à la “sauce bleue”. “Une fierté”, pour Fabien.

“Pas du genre à lâcher”

À 32 ans, ce responsable des ressources humaines chez Orange est désormais épaulé par deux personnes qui relaient au mégaphone ce qu’il lance au micro. Paradoxalement, c’est au moment où le plaisir a pris le pas sur le sacerdoce qu’il a été le plus près du renoncement. France-Pays-Bas en mars 2014, premier match avec la sono, son pire cauchemar. Le volume était trop puissant, 10.000 personnes lui hurlaient : “Lâche le micro!” “Faut avaler de se faire pourrir comme ça. J’ai mis du temps à encaisser…” L’ego a morflé, le soutien du groupe l’a regonflé. “Pas du genre à lâcher”, même s’il n’aurait aucun souci à passer le relais à quelqu’un d’aussi fédérateur que lui.

Malgré ces efforts, l’atmosphère au Stade de France reste incertaine. Notamment parce que les décibels s’éparpillent. “Nous, on s’entend et on sait le travail qu’il y a derrière, rétorque Fabien. Aujourd’hui, l’ambiance est meilleure qu’en province. Ça prend.” Les Bleus ont senti l’évolution même s’ils peinent encore à identifier le kop. C’est en tout cas ce qu’Evra, Lloris, Varane et Deschamps ont confié aux supporteurs conviés mercredi à Clairefontaine. DD et ses joueurs veulent un public qui influe sur les matches. Les fans, eux, souhaitent du partage et du respect : au Danemark, en octobre dernier, ils avaient mal pris que, malgré la victoire (2-0), personne n’ait daigné les saluer. Le message est passé.