Ouest France | 13.10.2020 | Par Jean-Marcel Boudard | photo : Anantha Kanalaningam (IF)

En dix ans, ils ont changé l’ambiance du Stade de France et la vie des tribunes. Dimanche soir, contre le Portugal, les Irrésistibles Français ont retrouvé le virage nord, sans tous leurs repères. S’ils attendent des jours meilleurs en novembre prochain, les supporters des Bleus devront encore patienter avant de souffler leurs bougies d’anniversaire. Retour sur une histoire longtemps impossible, qui a déjoué tous les pronostics, à force de persévérance et de détermination.

 

Ils ont démontré qu’on pouvait être assidu au Parc des Princes ou fréquenter le Vélodrome et se retrouver sous le maillot tricolore. Ils ont surtout prouvé que Saint-Denis n’était pas seulement voué à abriter une basilique silencieuse. En dix ans, les Irrésistibles Français ont changé l’ambiance du Stade de France, donné une voix aux Bleus et écrit une façon de les supporter.

L’histoire a commencé en 2002, dans le sillage de l’historique doublé Mondial-Euro, juste avant la désillusion coréenne. A l’époque, il s’agissait d’organiser et favoriser le regroupement de supporters des Bleus, des publics aux attentes différentes, jeunes ou familiaux, issus des différentes régions de l’Hexagone, mais unis par la passion de l’équipe de France. Mais c’est une autre déception qui va modifier la face du supportériat tricolore.

Après le désastre de Knysna, alors que l’équipe de France entame sa révolution, les supporters des Bleus entament leur restructuration et prennent un nouveau virage. Ils sont plusieurs à s’émanciper de la Fédération et se rassemblent au sein des Irrésistibles Français (IF). C’était le 10/10/2010, en hommage à autant de numéros célèbres de l’équipe de France.

Fabien, qui a été de toutes les aventures depuis 2002 et continue d’animer le groupe de 1635 adhérents, retrace, pour Ouest-France, les temps forts de cette épopée, mais aussi la vie du groupe en cette période de crise sanitaire.

En 2010, quelles sont les motivations qui donnent naissance aux IF ?
On était plusieurs à penser qu’on pouvait aller plus loin et plus haut dans le supportériat de l’équipe de France. On avait envie de le rapprocher ce qui se faisait dans les tribunes de la Ligue 1, de reproduire des animations comparables mais pour les Bleus. Cela arrive dans un contexte de crise, mais notre engagement n’était pas lié aux résultats des Bleus. Il y avait une volonté de faire bouger le stade, de s’amuser les soirs de victoire comme les soirs de défaite.

À l’époque, peu y croient… Quels sont les obstacles à lever ?
Ils sont nombreux car on concentre les difficultés. Le Stade de France, avec sa piste d’athlétisme et son acoustique inadaptée au foot, en est une. Nous n’avons aussi que cinq rassemblements par an, ce qui suppose de lancer des chants sur des airs déjà connus si on veut qu’ils soient repris rapidement. Il fallait aussi casser les clivages partisans entre des supporters pouvant se reconnaître dans des clubs opposés. Ainsi, on a interdit, dans la tribune, tout signe distinctif des clubs. Il a fallu se construire une crédibilité, auprès du grand public comme de la Fédération Française de Football.

C’est-à-dire ?
On a toujours été dans une démarche constructive. L’objectif, ce n’était pas d’imiter tel ou tel groupe ultra, mais vraiment de créer une ambiance propre au Stade de France. Cela impliquait de pouvoir se regrouper dans une zone du virage nord, de faire entrer du matériel et des banderoles. Tout cela se met en place en 2012 et nous rend visible. On pouvait alors réunir tous les amoureux des Bleus soucieux de vivre une autre expérience dans le stade.

«Un match ovni qu’on ne revivra jamais»

Quel match a permis de vous lancer ?
C’est le France – Ukraine de 2013, qualificatif pour la coupe du Monde au Brésil (battus 2-0 à l’aller, les Bleus l’emporteront 3-0). C’est un match charnière pour la génération Deschamps, mais aussi pour nous. Il a démontré que l’équipe de France pouvait avoir un public de supporters. Ce soir-là, tout le stade poussait les joueurs. On avait fait passer le message que ceux qui ne croyaient pas à la qualification devaient refiler leur place. Dès l’échauffement, c’était dingue. Pour moi, c’est un match ovni et on ne revivra jamais cette ambiance. C’était lié au contexte.

Quelles sont plus belles ambiances que vous avez vécues, depuis ce match ?
Il y a évidemment le France – Pays-Bas, le premier match après le titre de champion du monde. Mais un autre match m’a marqué et c’est paradoxal car on a pourtant perdu. C’était le France – Belgique de 2015 (3-4), avant l’Euro. On est mené 1-4 et tout le monde continue de chanter, d’encourager. Ce soir-là, on s’est dit que c’était gagné, que les choses évoluaient. On vient désormais au stade pour faire la fête et vivre autre chose.

Votre apport est aujourd’hui reconnu par les joueurs, qui l’ont beaucoup évoqué lors des dernières conférences de presse.
On les a rencontrés et on a réussi à mettre en place un cercle vertueux. Ils savent qu’on existe et il nous fallait aussi une reconnaissance, un lien humain. Quand on identifie les gens, on les soutient plus facilement. Didier Deschamps l’a bien compris et nous a facilité les choses. Il a toujours été favorable à disposer d’une ambiance au Stade de France. Aujourd’hui, on a la reconnaissance du travail considérable effectué depuis plusieurs années.

Comment avez-vous vécu le report de l’Euro ?
Au départ, on s’est dit que c’était partie remise. 2021, c’était loin et on était confiant. On a d’ailleurs conservé nos places, même si ça reste compliqué de se faire rembourser les vols et les hébergements. Aujourd’hui, on le sent mal. Sauf miracle, la compétition se déroulera avec des jauges très faibles. Et les billets de catégorie C ne devraient pas être prioritaires…

Mercredi, contre l’Ukraine, c’était aussi votre retour au Stade de France (1)…
Beaucoup n’ont pas demandé de place car ce n’est pas la vie en tribune qu’ils attendent. On a mis en place une rotation entre les deux matches. On a surtout fait la démonstration qu’il était possible d’accueillir du public au Stade de France (2). On a fait preuve de responsabilité. On a prouvé que, dans cette enceinte, on pouvait accueillir davantage de monde tout en respectant les mesures sanitaires.

A l’occasion de Croatie-France, les autorités ont accordé la présence de 7 000 spectateurs à Zagreb (30 % de la capacité du stade), comme le permet désormais l’UEFA. Cela vous semble envisageable en France ?
Le Stade de France contient 80 000 places et cela ne nous semble pas insurmontable d’imaginer accueillir 10 000 spectateurs pour France-Suède en novembre, à répartir dans les quatre tribunes. Si on se dit qu’une évolution positive est possible, on n’entend pas forcer la main. On souhaite garder cet esprit collectif et solidaire qui a prévalu au début de la crise sanitaire. Parmi nos membres, nous avons du personnel soignant et le groupe s’est mobilisé à cette occasion. On privilégie le principe de précaution. Nous n’avons pas envie de former un cluster ou d’être un vecteur de propagation du virus.

Dimanche dernier, contre le Portugal, vous deviez fêter vos dix ans. Quand aura lieu cet anniversaire ?
On le célébrera quand on pourra revivre un match dans une configuration normale et habituelle. On n’imagine pas le vivre autrement que dans une tribune pleine, tous ensemble.

(1) Après le huis clos de septembre, contre la Croatie, le gouvernement avait autorisé 1 000 spectateurs. 150 supporters ont pris place dans le virage nord, dont 74 membres des IF. C’est environ 7,4 % du public contre 2 % en pleine capacité.

(2) Un rang sur deux était condamné dans la tribune. Autour de chaque supporter, il y avait trois places libres.