Du footix à l’ultra, qui sont les supporters de l’équipe de France de football ?
Telerama | 12.06.2018 | Par Francois Chevalier
Un peu plus de 17 000 Français sont attendus sur le sol russe pour assister à la Coupe du monde 2018 (14 juin – 15 juillet). Les hommes de Didier Deschamps pourront compter sur les chants passionnés d’une délégation conséquente. Pourtant, la relation entre les Bleus et ses fans n’a pas toujours été au beau fixe, la faute à des résultats sportifs aléatoires et à un rapport au drapeau parfois compliqué. Mais ces dernières années, l’image du supporter s’est améliorée et la sélection nationale bénéficie désormais d’un soutien actif dans les stades. « On peut encourager l’équipe de France sans être taxé de nationaliste », nous explique le sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste du supportérisme.
La relation entre l’équipe de France de football et ses supporters est-elle stable ?
La demi-finale de la Coupe du monde 1982 entre la France et l’Allemagne, à Séville, a marqué un tournant. Depuis ce match extraordinaire, largement suivi par la population, l’équipe de France est un élément culturel important pour les Français. Il y a beaucoup d’attente à chaque grand tournoi international. Quand les résultats sportifs sont bons, l’engouement est extrêmement fort et peut engendrer des délires interprétatifs. Après la communion autour du titre mondial en 1998, l’idéal multiculturel que laissait entrevoir la victoire des Bleus n’a pas résisté aux réalités d’une société française fracturée. Et inversement, quand l’équipe de France ne tient pas ses promesses comme lors du Mondial sud-africain en 2010, la déception est immense et l’importance accordée à une grève des joueurs est parfois démesurée.
“Depuis 2013, la Fédération Française de Football (FFF) a aidé des groupes de supporters à se structurer”
Dans un certain nombre de pays voisins, notamment en Italie, en Allemagne… les équipes nationales déchaînent les passions. Pour les matchs de l’équipe de France, l’ambiance dans les stades semble un cran en dessous. Comment l’expliquer ?
C’est en train de changer. Pendant longtemps, l’ambiance au Stade de France n’était pas extraordinaire. Il n’y avait pas véritablement de groupes de supporters actifs. Mais depuis 2013, la Fédération Française de Football (FFF) a aidé des groupes de supporters à se structurer, notamment les Irrésistibles français, qui occupent le virage nord du Stade de France. Avec eux, la FFF a essayé de construire un supportérisme actif en les autorisant à se tenir debout dans les tribunes. Le moment charnière, c’est le match de qualification retour au Mondial 2014 face à l’Ukraine. Il y a eu une une vraie mobilisation autour des Bleus. Il arrive que des tifos gigantesques soient déployés, comme contre les Pays-Bas en 2017. Avant, c’était impensable. Une culture supporter s’est développée récemment autour des Bleus, y compris lors des compétitions lointaines. Par exemple, à la Coupe du monde 2014 au Brésil, 17 000 supporters français ont fait le déplacement, alors qu’en Angleterre, pour l’Euro 1996, il n’y avait quasiment personne.
En quoi le supportérisme de sélection est-il différent du supportérisme de club ?
En France, la culture supporter a d’abord commencé à se construire dans les clubs, dans les années 1970 puis au milieu des années 1980, avec la création des premiers groupes d’ultras. Elle s’est accentuée dans les années 1990 avec le parcours européen de l’Olympique de Marseille en Ligue des Champions. 25 000 Marseillais avaient fait le déplacement à Munich en 1993, pour la finale disputée et gagnée face au Milan AC. Elle s’est construite également dans l’opposition entre deux clubs rivaux des années 1990 : l’OM et le PSG. D’ailleurs, l’équipe de France était minée par cette rivalité. Il était impossible pour un supporter parisien de soutenir un joueur marseillais, lorsque celui-ci portait le maillot de l’équipe de France, et réciproquement. Sur ce point, le succès de la génération 98 a changé la donne, car ses principaux joueurs n’étaient plus issus uniquement de ces deux clubs.
La particularité de la sélection nationale, c’est qu’elle agrège des amateurs avec des connaissances et des motivations très différentes. Il y a ceux qui suivent l’actualité du football au quotidien, qui ont un club préféré, et ceux qui se mobilisent uniquement pour les grandes compétitions internationales, parfois accusés d’être des « footix ». Cette insulte est utilisée par les supporters les plus actifs pour désigner les gens qui fréquentent le stade occasionnellement.
“Une bonne partie du public aime soutenir les Bleus car c’est consensuel”
La victoire des Bleus en 1998 a-t-elle décomplexé le public français dans son rapport au patriotisme ?
Si il y a eu autant de débats après 1998, c’est parce qu’il y a des interrogations sur l’identité française. Et la sélection nationale est à la fois un symbole fort qui concentre l’idée du vivre ensemble au delà des différences des uns et des autres, et un moyen, sur une période plus récente, d’exprimer la fierté d’être Français de manière non polémique. On peut encourager l’équipe de France sans être taxé de nationaliste. Depuis la victoire en Coupe du monde, une bonne partie du public aime soutenir les Bleus car c’est consensuel. Même si l’image des supporters s’est améliorée, dans l’inconscient collectif, le fan de base ressemble au beauf de Cabu. L’image d’un type un peu bas du front. Mais c’est moins stigmatisant d’être supporter de football aujourd’hui. La Coupe du monde 98 est passée par là. La preuve, le président de la République actuel, et c’est une première, ne cache pas qu’il supporte un club de foot [l’Olympique de Marseille, ndlr]. François Hollande a également affiché son intérêt pour le football.
Dans son livre Une histoire populaire du football, Mickaël Correia évoque le phénomène de gentrification des tribunes, avec la hausse significative du prix des billets. Les classes populaires peuvent-elles encore se payer un match de l’équipe de France ?
Le prix des places pour assister aux matchs de l’équipe de France n’est pas très élevé par rapport à d’autres sélections nationales. La FFF a consenti un effort tarifaire pour permettre le développement d’un supportérisme actif au Stade de France. Aujourd’hui, il coûte moins cher d’aller voir un match de l’équipe de France [à partir de 20 euros, ndlr] que d’aller voir le PSG au Parc des Princes [à partir de 40 euros, ndlr]. En revanche, lors d’un Euro ou d’un Mondial, les tarifs sont prohibitifs. Mais c’est un problème qui dépasse la France.
Les défenseurs du sport populaire estiment que le « football business » est à son apogée. Cela s’explique par les transformations économiques opérées dans les années 1990 : la Ligue des Champions qui est devenue presque un championnat fermé, l’arrêt Bosman qui a permis de libéraliser le marché des joueurs à l’échelle européenne en autorisant les meilleurs clubs à acquérir les meilleurs joueurs et l’explosion des droits TV, négociés à prix d’or par les chaînes pour retransmettre les matchs.
“Le football moderne a besoin des ultras”
Quels sont les modèles économiques dominants dans le football européen ?
Le premier exemple, c’est le championnat anglais qui a rénové entièrement son image dans le années 1990 en attirant des stars et en assainissant les stades. La tolérance zéro par rapport aux violences et l’augmentation conséquente du prix des billets ont éloigné une partie du public populaire des tribunes. Il y a une volonté de lutter contre les violences en éradiquant le hooliganisme, pour avoir un environnement sécurisé. Mais il est possible de développer le football en permettant à toutes les couches de la population d’accéder au spectacle. C’est le cas du modèle allemand qui réprime les comportements déviants et préserve la culture supporter en conservant les tribunes debout, avec une politique de places accessibles. C’est l’exemple que suivent quelques clubs français comme Lyon et Marseille.
Pensez-vous que « l’homogénéisation » des tribunes, comme en Angleterre, puisse à terme faire disparaître les groupes d’ultras ?
L’ambiance dans les stades est primordiale pour les grands clubs. Paradoxalement, le football moderne a besoin des ultras. Ce sont des acteurs centraux, qui concentrent toutes les interrogations autour de la transformation du football. D’un côté, ils créent des incidents (violences, envahissements de terrain, fumigènes…) qui peuvent tendre les relations entre les clubs sanctionnés par la Ligue de Football Professionnel (LFP) et leurs supporters, de l’autre, ce sont les ultras qui mettent le plus d’ambiance. Mais ils dérangent aussi parce qu’ils portent le discours du football populaire en incarnant l’esprit de contestation.
En 2010, quand le PSG a appliqué le plan Leproux [séries de mesures visant à pacifier les tribunes du Parc des Princes suite au décès de Yann Lorence, ndlr], puis a été racheté par un actionnaire qatari, le club a privilégié un public « haut de gamme ». Economiquement, ça fonctionnait mais l’ambiance avait disparu. Depuis, le club est revenu en arrière. L’enjeu, c’est de concilier la sécurité et le respect de la liberté des supporters.
Photo d’illustration : Jean François Souchet