A 60 minutes près…
L’idée est apparue dès le lendemain du tifo « FRANCE » : déployé le 31 août dernier lors du match de qualification contre la Hollande, il avait été salué par le monde du football jusqu’à être repris dans le palmarès des dix plus beaux de l’année 2017. « Comment faire encore plus grand ? » se demandait à l’époque Florent Soulez « Monsieur tribune » de la FFF.Le pari était donc lancé, il fallait construire un tifo populaire, rassembleur, innovant et montrant avant la coupe du Monde que toute la nation était derrière sa sélection nationale.
Les premières propositions de visuel ont vu le jour début janvier 2018 et le visuel définitif a été révélé fin février. Entre-temps, les dix membres de l’équipe animation des IF auront des échanges réguliers avec la fédération. « Il y a une confiance entre la fédé et l’association, nous ne sommes pas toujours d’accord, mais trouver un terrain d’entente pour une animation de cette envergure avec Florent n’est pas le plus compliqué », explique Fabien Bonnel, responsable de l’animation des IF.
Le tifo comportera 65 000 feuilles posées sur les tribunes des virages et sur la latérale Est ainsi qu’une bâche de 7 500 m2 qui sera déployée sur la pelouse du Stade de France.
Pour le mettre en place, 50 membres des IF se sont mobilisés pendant trois jours et 100 personnes pour le déploiement de la bâche.
Jour 1 – La découverte
Samedi 26 mai 9 heures, 35 IF se sont donné rendez-vous porte E du Stade de France. La participation à la mise en place d’une telle animation est une première pour beaucoup d’entre eux. C’est le cas de Samuel, 17 ans, qui « ne pourra assister aux matchs en Russie faute de moyens » mais qui « tenait à être présent pour les Bleus lors de leur venue au Stade de France ». Les formalités administratives permettant de rentrer dans l’enceinte une fois réalisées, c’est l’heure de la découverte d’un stade nu ne demandant qu’à être paré de ses plus belles couleurs.
Après avoir réparti les 5 palettes de feuilles dans l’ensemble du stade, les équipes se scindent en deux groupes. Le premier commence à plier 60 000 feuilles, pendant que le second commence le traçé sur la tribune Est des mots « ALLEZ LES BLEUS ». La météo perturbée qui est annoncée oblige à poser sur chaque feuille deux bouts de scotchs rallongeant ainsi le temps alloué à la pose de chaque feuille. Cependant, à 13 heures, le message « ALLEZ LES BLEUS » est terminé. Le tempo a été soutenu, « nous sommes dans les temps », commente Fabien.
14h30, les équipes évènementielles de la FFF arrivent à notre rencontre. A partir de cet instant, les concepteurs du tifo vont devoir travailler à partir du dessin de la bâche. L’immense bâche va être déployée. Afin de ne pas abîmer la pelouse, les 100 porteurs de la bâche auront 5 répétitions de 15 minutes pour la manipuler. Les équipes des IF sont prévenues ! Elles ont donc un peu plus d’une heure pour tracer sur l’ensemble du stade 14 rayons bleus, blancs et rouges qui la compléteront.
Les cordes sont tirées, les marches sont gravies à grande vitesse, les repères sont posés. Les premiers rayons sont tracés. C’est le soulagement. Nous pouvons maintenant poser les feuilles correspondantes. Il est 20 heures, la journée peut se terminer. Place à la Finale de la League des Champions que certains IF vont
regarder ensemble.
Jour 2 – Le remplissage
Il y a du monde en ce dimanche matin de fête des mères. 40 IF s’apprêtent à passer une journée qui se terminera à 16h30 par l’arrivée des équipes pour leurs entrainements à huis clos d’avant-match. « Aujourd’hui, on remplit (pose les feuilles) tout ce qui est possible », explique Anne Costes, membre du bureau et co-organisatrice du tifo.
On vient de loin pour participer, comme ces trois adhérents niçois déjà impliqués dans ce genre d’animations et qui ont posé un jour de congé pour « monter à la capitale » afin d’aider à sa construction et assister au match. La totalité des tribunes intermédiaires et hautes, toutes deux protégées d’hypothétiques orages, sont terminées…
16h30, les Irlandais foulent la pelouse, signifiant la fin d’une journée gorgée de soleil et de bonne humeur.
Jour 3 – Le grand jour
L’ambiance est tendue, des orages sont prévus pour 18 heures pouvant mettre en péril la pose des feuilles sur l’ensemble des tribunes basses. Comment faire pour protéger les feuilles tout en les laissant facilement accessibles aux spectateurs ? Plusieurs options sont prises, on roule, on scotche, devant, en-dessous, derrière le siège. Rien n’y fait. « Si nous changeons notre méthode de placement des feuilles, nous n’arriverons jamais à le terminer à temps », souligne Alexandre, adhérent et présent depuis samedi 9h. La tension monte d’un cran : « On prend le risque, tant pis si l’orage nous détruit le tifo », lâche Fabien.
La dernière feuille sera posée à 16h. Les dos sont courbatus, les chaussures couvertes de toiles d’araignées ramassées dans les allées. L’enthousiasme fait oublier la fatigue, les sourires prennent le dessus sur le stress. C’est la pause photo. « C’est beau… pourvu que ça reste comme cela », soupire Chantal, adhérente historique.
18h30, la pluie a fait son apparition. Bonne nouvelle : l’orage compromettant le tifo serait pour plus tard. Il serait même annoncé après le coup d’envoi ! Autre crainte cependant : s’il éclate, les spectateurs en bas des tribunes pourraient remonter et ne pas participer au tifo. Il faudra aussi faire attention au poids de la bâche. Sèche, elle pèse 800 kg, humide, elle ne pourra pas être repliée et risque de faire décaler le match, ce qui est totalement impensable. Sa non utilisation est donc évoquée rendant le visuel du tifo incomplet.
19h00, « ça tient pour le moment, croisons les doigts » entend-on dans la Casa Bleue, l’espace convivial regroupant les supporters de l’équipe de France avant chaque match.
20h00, la pluie se renforce, l’annulation est fortement évoquée mais, comme pour conjurer le sort, les IF partent en direction des coursives pour s’emparer des 800 kg de tissus.
20h30, l’orage éclate. Des trombes d’eau s’abattent sur la pelouse. Les visages se crispent côté FFF et IF. Le tifo est en danger bien que l’animateur du stade procède aux répétitions avec la vingtaine de milliers de supporters déjà installés.
20h55, Florent Soulez annonce que la bâche ne sera pas sortie car « c’est trop risqué », explique-t-il, désolé. On conserve quand même les feuilles. Quelle déception pour les IF ! qui se résignent, « on ne peut pas lutter contre le climat ».
20h57, le tifo démarre, les joueurs sortent des vestiaires. Le rendu visuel est mitigé. Les tribunes ont souffert des intempéries. Sur Twitter, journalistes et spectateurs saluent le travail et la qualité du tifo mais au sein du groupe, l’ambiance n’est pas à la fête.
« Il faut passer à autre chose maintenant », lance Anthony, l’un des deux capos du groupe pour remonter le moral à son compère. Le match est lancé, sous une pluie diluvienne l’ambiance ne faiblira pas comme pour montrer aux cieux qu’ils n’auront pas la joie d’atténuer la ferveur.
Les relations humaines créées durant ces trois jours ne se sont, elles, pas diluées, les souvenirs non plus. La soirée s’est terminée par un notre nouveau chant à la gloire de notre Gégé national…
« Gérard Depardieu, sors-nous ta vodka. On va la gagner chez toi. »
Fabian Tosolini
Twitter : @Fabian_IF