SoFoot.com | 04.04.2022 | Par Adrien Hémard

Pour les supporters du monde entier, aller au Qatar pour la Coupe du monde 2022 s’annonce à peine plus simple que pour l’Italie ou l’Algérie. Entre le manque de logements sur place, les tarifs exorbitants, les restrictions ou encore l’illisibilité de l’organisation, suivre les Bleus au prochain Mondial relève du défi. Vice-présidente des Irrésistibles Français, et en charge de l’organisation des déplacements, Anne Costes raconte la galère des supporters tricolores, qui devraient être douze fois moins nombreux dans l’Émirat qu’en Russie en 2018.

Bonjour Anne, comment s’annonce le voyage au Qatar pour les Irrésistibles Français et autres supporters tricolores ?
Compliqué, très compliqué. On a organisé une réunion en visioconférence hier avec une partie de nos 600 adhérents, pour expliquer à tout le monde les différents éléments. C’est tellement compliqué qu’on n’aurait jamais pu tout expliquer par mail. Il fallait un échange avec les gens, pour qu’ils comprennent tout ça. Parce qu’entre la billetterie, la fan ID, les transports, l’hébergement sur place, les agences de voyages et le programme de bénévoles, cette Coupe du monde est illisible.

Commençons par la billetterie, puisqu’elle ouvre mardi. Qu’est-ce qui cloche ?
Pour vous donner une idée, on a eu la FFF jeudi au téléphone. Ils venaient d’apprendre que la période de vente était finalement réduite de dix jours. Et ce, à quelques jours de la mise en vente des billets, c’est vous dire. On sent que la FIFA n’est pas bien préparée à l’évènement. Mais passons. Autre détail : la FFF organise samedi sa mise en vente des billets, qui commence mardi je rappelle. Normalement, on devrait avoir un système qui privilégie les membres d’associations de supporters pendant un ou deux jours, ce qui est bien, et mieux que les deux heures qu’on avait eues pour l’Euro. (Rires.) Ce qui n’avait évidemment pas marché. Le problème, c’est aussi les coûts. La FIFA parle de baisse de prix, c’est vrai pour le premier tour. Mais à partir des quarts de finale, c’est en vérité plus cher qu’en 2018, et la finale est même 30% plus cher. En gros, quelqu’un qui va suivre la compétition entièrement, c’est 1200 euros de billets, soit 12% de plus qu’en 2018. »

Vous parliez surtout des problèmes d’hébergement sur place. Comment ça se passe ?
C’est LE gros point noir. Sur le papier, la FIFA a ouvert une plateforme, bien. Sauf qu’il faut avoir ses billets de match pour pouvoir être hébergé, sinon on ne peut pas réserver. Il faut donc prendre des billets de match sans savoir si on aura un hébergement. Or avoir un hébergement conditionne l’entrée au Qatar. Le tout sachant que les billets ne sont pas remboursables. Donc si l’on veut éviter de faire un aller-retour France-Qatar le jour du match – ce qui n’est pas sûr d’être possible -, il faut prendre un billet non remboursable sans savoir si l’on aura un logement, qui lui-même nous permettra d’entrer sur le territoire. Cerise sur le gâteau : il faut réserver un nombre minimum de nuits, on ne peut pas prendre qu’une nuit. Ce qui n’a pas de sens, puisqu’il y a un manque d’hébergements sur place. Des hébergements qui seraient remboursés à 80% en cas d’annulation avant le 30 avril, mais pas du tout après. Et puis il faut voir les appartements en question… C’est soit des installations presque militaires, soit des villas ou les fameux bateaux de croisière. Le moins cher, c’est un camping dont on ne sait rien, avec juste une photo d’une tente Quechua sur une dune.

Tout ça pour finalement devoir quitter le Qatar deux jours maximum après l’élimination de son équipe…
Oui ! On a appris jeudi que la fan ID serait liée au billet de match. On aura 48 à 72 h après le dernier match pour partir. Comment on fait si les billets d’avion ne sont pas modifiables ? En Russie, la fan ID était valable jusqu’à la fin de la compétition. On attend la confirmation pour cela, parce que là, c’est la chasse aux infos, on ne trouve rien nulle part. J’ai épluché les FAQ et les conditions générales de vente pour avoir des informations, parce que nos mails restent sans réponse. On a même regardé pour se loger dans les pays alentours, mais en fait, le vol Dubaï-Doha sera hyper cher. En voiture, il y a 6 heures de route en passant par l’Arabie saoudite, dont les frontières sont fermées avec le Qatar. En fait, pendant notre réunion, je n’ai fait qu’annoncer des mauvaises nouvelles. J’ai dû dégoûter beaucoup de monde. C’est dommage parce qu’on est champion du monde et on aura très peu de supporters sur place.

C’est la pire compétition internationale que vous avez eu à gérer ?
Sans aucun doute. C’est incomparable avec les éditions précédentes. Et encore, s’il ne s’agissait que des prix… On a commencé en 2014, on a tout organisé à chaque fois. Normalement, chacun prend son billet d’avion, et nous on gère les hébergements. Pour la première fois, j’ai dû dire aux membres que chacun devrait se débrouiller, face à tous ces obstacles, on ne peut pas prendre tous ces risques financiers. Ce qui veut dire que pour ceux qui arriveront à venir, ils ne seront pas du tout rassemblés. Pour vous donner une idée, on était 600 en Russie, là si on est 50, ce sera exceptionnel. Je dis « on » , mais personnellement, j’ai renoncé. Avec toutes les polémiques qui entourent ce Mondial, on pouvait au moins s’attendre à ce que le Qatar soit irréprochable sur l’organisation, mais en fait pas du tout. Ça l’est seulement pour les gens aisés. Ce n’est pas une Coupe du monde pour les supporters, il n’y aura personne. On va se retrouver avec des Qataris qui tiendront des drapeaux français.

Vous vous concertez avec les autres groupes de supporters étrangers ?
Par la FSE (Football Supporters Europe), dont le président est français, on a des infos qui remontent des autres fédés, mais c’est pareil pour tout le monde, on est tous dans le même bateau. Sauf les pays dont les fédérations aident les supporters, comme le Mexique. En Europe, même les pays qui aidaient comme la Belgique sont dans le même cas que nous.

Vous attendez quoi de la FIFA ou de la FFF ?
On aimerait que la FFF nous aide plus depuis le début. On aimerait un vol charter pour la grosse affiche en poules déjà. Mais on n’en a jamais eu. Eux disent qu’ils ne peuvent rien mettre en place parce qu’ils n’ont aucune idée du nombre de gens qui vont venir. C’est le serpent qui se mord la queue parce que nous, on ne prend pas de billets parce qu’on ne sait pas comment se loger sur place. Quant à la FIFA, elle ne fait rien. Ils ne se rendent pas compte, ou n’en ont rien à faire. On a échangé avec le comité, on a l’impression qu’ils découvrent des choses à la dernière minute. Ça ne paraît pas du tout aussi bien géré que la Russie. Là-bas, on avait les voyages en train gratuits entre les villes. Tout était nickel. Et je ne parle pas des coutumes locales qu’on respecte, mais qui ne sont pas du tout adaptées à une Coupe du monde : pas d’alcool, pas de marques d’affection entre adultes en public, pas de vêtements trop courts… On respecte la culture locale, mais ça s’annonce compliqué et c’est d’ailleurs très peu mis en avant, ce qui risque de créer des problèmes sur place. Le Qatar n’est pas adapté pour accueillir un grand tournoi avec des millions de gens.

Vous croyez vraiment qu’on pourrait voir des supporters qataris maquillés aux couleurs d’autres pays ?
C’est notre théorie, parce que c’est ce qu’on a vu lors des mondiaux de handball. Si dans la tribune de la France, il n’y a que 200 personnes, il faudra bien remplir par d’autres supporters locaux.