Comment les supporters français ont gagné le respect de l’Euro 2024
20 Minutes | 21.06.2024 | Par Aymeric LE GALL | photo : OZAN KOSE / AFP
L’équipe de France, qui affronte les Pays-Bas vendredi à Leipzig, sera à nouveau soutenue par plus de 10.000 supporters.
C’est la première fois qu’autant de gens font le déplacement pour encourager les Bleus dans une grande compétition.
Si c’est encore loin des marées de Hollandais ou d’Ecossais, les fans des Bleus se découvrent peu à peu une âme de voyageurs.
Trois ans après l’Euro du Covid qui, dans une autre vie qui nous paraît aujourd’hui si lointaine, avait donné des airs de cimetières indiens aux stades européens, le championnat d’Europe 2024 nous offre à nouveau des ambiances emballantes et des scènes de liesses populaires malgré une météo pourrie jusqu’à la moelle. Un constat à mettre au crédit de l’organisation allemande, qui a ouvert les vannes pour permettre aux supporters de venir bien plus nombreux au stade que lors des Euro précédents. Comment ? En calant la jauge de places allouées en virage sur la capacité de l’Allianz Arena de Munich et ses 80.000 places.
En gros, qu’on soit dans l’enceinte du Bayern ou à Leipzig, plus petit stade de la compète (40.000) où les Bleus affrontent les Pays-Bas vendredi, chaque pays se voit réserver automatiquement 10.000 places. Quoi qu’il en soit, des Ecossais imbibés de houblons aux Hollandais dansant le quadrille dans les rues de Hambourg, les supporters sont pour le moment au rendez-vous de l’événement. Et au milieu de tout ça, les Français ne font même plus tache dans ce joyeux bazar.
10.000 Gaulois au rendez-vous
Loin de leur réputation de public frileux préférant garder son bas de laine pour aller griller des merguez et siroter du Ricard dans les campings du sud de la France, nos compatriotes ont traversé en masse la frontière avec l’Allemagne pour venir soutenir les Bleus. Ils sont en effet plus de 10.000 à avoir pris des billets pour les trois premiers matchs de poule de la bande à Deschamps, un record pour notre pays.
Un chiffre qui pourrait prêter à moquerie pour certaines nations habituées à dégouliner par dizaines de milliers tous les quatre ans sur le continent mais qui, pour nous, raconte quelque chose d’intéressant dans le rapport des Français à leur équipe de foot. Désormais, à l’image du virage bleu qui a bruyamment peuplé le stade de Düsseldorf face à l’Autriche, les supporters français peuvent regarder leurs rivaux dans le blanc des yeux. Le premier cortège, lundi dernier, avait à ce titre fière allure dans les rues de Düsseldorf.
De quoi faire plaisir à Fabien Bonnel, membre historique des Irrésistibles Français, qui se démène depuis des années pour faire des tribunes un endroit à la fois bruyant et festif. « Je suis assez humble sur l’impact de notre travail et je ne pense pas que ce soit ça qui explique le nombre qu’on est aujourd’hui en Allemagne, déclare-t-il modestement. Ça s’explique surtout par le fait que c’est en Allemagne et que les Bleus enchaînent les bons résultats depuis 2016. » Or, on le sait, vous le savez et lui aussi, « les Français ont plus facilement tendance à se mobiliser quand ça gagne. »
Des supporters organisés et braillards
Il n’empêche, on peut aujourd’hui marcher la tête haute et, surtout, éviter de se la prendre dans les mains – de honte – en se rappelant les trois pelés et deux tondus déguisés en Astérix et Obélix qui représentaient alors la patrie à l’étranger. Désormais, un peu à la manière des parcages ultras que l’on voit chaque semaine en Ligue 1 (quand les préfets sont dans un bon mood) ceux-ci sont nombreux, organisés et bruyants.
Fabien Bonnel : « On voit, on sent et on entend que le travail qu’on fait depuis des années, ces chants qu’on répète de match en match pour qu’ils s’ancrent dans les têtes, ça a fini par payer. On n’est plus que sur du ‘Allez les Bleus’ ou la Marseillaise. On arrive à institutionnaliser d’autres rythmes, ce qui permet de varier l’atmosphère. Avant ça lâchait assez vite, aujourd’hui ça tient beaucoup mieux sur la durée. »
Cela n’empêche pas (encore) les critiques de pleuvoir, on a encore pu le constater ces derniers jours sur Twitter, mais au moins les fans tricolores ont trouvé de solides avocats pour défendre leur cause. C’est le cas d’Idriss, 32 ans, qui anime la chaîne « Amour du maillot » sur Youtube. Ulcéré par les commentaires négatifs accompagnant les vidéos du cortège français en début de semaine, ce fan de rugby et de foot leur a mis un high kick bien placé dans les parties.
« C’est typique de l’ambiance sur les réseaux sociaux et de la mentalité française, on ne peut pas s’empêcher de tomber dans la comparaison un peu perverse avec ce qui se fait ailleurs. Ça m’a gavé, raconte-t-il. On ne se rend pas compte d’où l’on part et où on est. A une époque, l’ambiance autour des Bleus, sans même parler des déplacements, rien qu’au Stade de France, c’était pourri. En 2000, alors qu’on était sur le toit du monde et que l’Euro était juste à côté, en Belgique, c’était pas dingue du tout. Aujourd’hui, même si on n’est pas au niveau des autres, au moins on peut tenir la comparaison et il faut le saluer. »
Les chiens aboient et la caravane passe
S’il assure ne plus prêter attention à ces haters en pyjama, bien planqués derrière leur ordi depuis le fin fond de la Creuse, le capo des IF a quand même un message pour eux : « Qu’ils viennent au stade chanter, qu’ils viennent avec nous dans les cortèges pour nous aider à ambiancer tout ça. Nous en tout cas on se dépouille, on fait en sorte que le mouvement se développe et que les gens prennent du plaisir. Ça m’importe beaucoup plus que les deux ou trois rageux qui critiquent tout en permanence. »
Il reste encore du travail pour arriver au niveau des Hollandais mais les Irrésistibles Français y travaillent. « Le cortège des Pays-Bas est forcément plus impressionnant mais ça ne veut pas dire que le nôtre n’est rien à côté, poursuit le capo français. On essaye d’appuyer sur le côté ‘tous en bleu au stade’, afin que ça claque visuellement, même si on n’a pas les couleurs flashy des Hollandais ou des Autrichiens. Un orange ou un rouge qui pète, c’est forcément plus puissant que le bleu, mais on essaye d’instaurer cette habitude pour que ça se voie en tribune. »
Reste qu’il y a peu de chance qu’on arrive un jour à la cheville des certains de nos voisins, pourtant moins nombreux d’un point de vue de population. Et ne venez pas nous parler d’une quelconque différence de pouvoir d’achat. Sinon comment expliquer que les Roumains ou autres Albanais (no offense) aient déboulé par dizaines de milliers. « C’est une histoire de culture du supportérisme, de rapport au football, d’amour de ce sport et de la sélection, pointe Idriss. Il y a encore un gros travail sur les mentalités à faire mais il y a eu une vraie évolution. »
D’autant que si les Bleus réalisent un beau parcours cet été, on peut s’attendre à ce que d’autres compatriotes viennent grossir les rangs dans les semaines à venir. « Vous connaissez la mentalité française, se marre Bonnel. plus on va avancer dans la compétition, plus les gens vont vouloir prendre leur billet. Aujourd’hui ils n’y pensent pas du tout mais, arrivé en 8es, ça va commencer à se réveiller et à prendre le train en route. » Du moment qu’ils mettent le feu en tribunes, promis, on ne les jugera pas trop sévèrement.