Le feuilleton des Bleus : gagner, pour communier
Le Monde.fr | 14.06.2012 | Par Erwan Le Duc
“Photo please ?… ” Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, le gaillard avance timidement, appareil en main, vers ce petit bout de femme qui polarise l’attention dans les rues de Donetsk, à quelques minutes du match France -Angleterre, lundi 11 juin. Avec sa splendide parure bleu blanc rouge, toutes plumes au vent, Astrid a l’habitude des ambiances de stade. C’est avec un professionnalisme sans faille qu’elle multiplie les clichés en compagnie de ces parfaits inconnus qui, le temps d’un clic, posent avec elle bras dessus bras dessous.
A l’instar du médiatique Clément d’Antibes ou des Irrésistibles Français, ils sont, selon la Fédération française de football (FFF), quelques milliers de tricolores à être passés à l’Est pour soutenir la sélection nationale lors du premier tour de l’Euro 2012 . Près de deux mille billets vendus pour chacun des trois matches, un chiffre satisfaisant pour la FFF. Ravis, ces Français partis en migration vers la région du Donbass le sont tout autant. “Les gens sont très contents, tout se passe bien avec les Ukrainiens, l’ambiance est bon enfant”, se réjouit Medhi Tazraret, coordinateur de la section française de Football Supporter Europe (FSE), une association partenaire de l’UEFA.
Évoluant comme souvent en infériorité numérique lors des compétitions internationales, les fans tricolores ont souffert, à l’occasion du match contre les Three Lions , de la comparaison avec les cohortes d’Anglais. Et si une vague bleu blanc rouge a envahi la verdoyante avenue Pouchkine, elle est à mettre au crédit de ces Russes venus par milliers, en voisins, pour profiter de l’Euro en attendant leur Coupe du monde en 2018. Une rencontre tripartite qui s’est déroulée sans incident notable, comme le confirme Antoine Boutonnet, chef de la division nationale de lutte contre le hooliganisme, présent en Ukraine pour encadrer le déplacement des Français.
Si le courant est passé entre les supporteurs tricolores et leurs hôtes ukrainiens, la friture sur la ligne persiste vis-à-vis de l’équipe de France. Malgré les efforts de la FFF pour rapprocher les Bleus de leur public, la grève de Knysna lors du Mondial 2010 est encore évoquée telle un traumatisme. “Ils ont une dette envers nous”, clame Fred, maillot du FC Metz siglé Ribéry sur les épaules. “Faire 2 700 kilomètres pour les encourager et, à la fin du match contre l’Angleterre, ils nous font coucou pendant deux secondes et s’en vont… je suis dégoûté”, renchérit Stéphane, son camarade de voyage . “Beaucoup de gens cherchent à voir les joueurs, pour discuter avec eux, récolter des autographes”, constate Medhi Tazraret de FSE. L’UEFA demande à chaque équipe d’organiser au moins un entraînement ouvert au public lors du premier
tour, et le staff tricolore a suivi la consigne. Mais en programmant cette rencontre le samedi 9 juin, soit deux jours avant le match, à un moment où la majorité des fans était encore en train de préparer leurs valises.
Habitué à suivre les Bleus aux quatre coins de la planète , Hervé Mougin, président de l’association Irrésistibles Français, tempère ce sentiment de déception. “C’est vrai que les joueurs semblent respecter une distance de sécurité invisible, explique-t-il. Sauf que les efforts sont à faire des deux côtés. On est aussi mal organisés entre supporteurs, mais on se soigne, et on travaille avec la FFF pour créer des relais.” L’homme, qui est prêt à aller jusqu’aux îles Féroé pour encourager son équipe, ne voit qu’un seul remède pour sceller la réconciliation nationale : la victoire. “La communion entre joueurs et supporteurs s’opère surtout lors des phases finales. Et comme il n’y en a pas eu depuis longtemps… “, rappelle-t-il. Le choc à venir , le 15 juin contre l’Ukraine , co-organisateur et surprenant leader du groupe D, fait pourtant frissonner la petite communauté française installée à Donetsk. “Il faut profiter de la bonne ambiance, parce que vendredi, ça ne sera pas forcément la même chose… “, lâche un jeune homme coiffé d’un bonnet en forme de coq. Une inquiétude vite dissipée par le flash d’une photo souvenir prise aux côtés d’une ravissante jeune femme, toute de jaune vêtue.